Les histoires de Grand Petit Père

Toute chose a un endroit et un envers,
un dessus et un dessous,
tout dépend de la façon dont on la considère.


Dune

Calée au fond de son siège, Fleur baissa légèrement le store du hublot pour se protéger du soleil. Elle était lasse de se tordre le cou dans l'espoir, vain, de repérer la brume sableuse que soulèvent les caravanes en quête de pâturages et d'eau.

Depuis le Soudan l'avion survolait l'immensité secrète du désert saharien ; des ergs sculptés à la hache par un orfèvre habile déferlaient en vagues ocres, parfois, une sebha scintillait en clin d'oeil au fond d'un chott.

A force de conjuguer éternel et infini, doucement bercée par le ronflement monotone des réacteurs, elle allait s'assoupir quand elle entendit qu'on l'appelait :

- Fleur ! Coucou Fleur ! Veux-tu venir jouer avec moi ?

Interloquée, elle lança alentour un regard furtif, en direction des autres passagers. Personne ne réagit, pas le moindre signe.

Pourtant, l'invite réitéra :

- Coucou, Fleur ! Je m'ennuie, veux-tu jouer avec moi ?

« Qu'est-ce qu'il m'arrive ? se dit-elle, on dirait que ça vient de l'extérieur. » Sa pensée se mit à galoper et elle conclut in petto qu'elle divaguait.

Soudain, l'appel s'amplifia, net et catégorique :

- Je suis là ! Ouvre !

Incrédule, elle souleva tout à fait le store, d'un geste vif qui trahissait son inquiétude. Alors elle le vit : c'était un petit nuage ; il planait d'un vol léger et lui faisait de grands signes.

- Enfin, tu m'as entendu ! dit-il dans un éclat de rire. Viens jouer, j'en ai assez d'essayer de rattraper les autres ; ils courent, ils courent sans jamais s'arrêter et moi, je voudrais aller voir ce qui se passe en bas.

Tu m'accompagnes ?

- Comment le pourrais-je ? s'entendit répondre Fleur, malgré elle. Je ne sais pas voler.

- Ne te fais pas de souci, je me charge de t'emmener.

Avant qu'elle n'ait eu le temps de réfléchir, Fleur se retrouva installée entre ciel et sable, sur une ouate moelleuse, aussi confortable qu'un cocon.

- Je m'appelle Nué, lui confia son stupéfiant équipage, le vent est mon ami, il m'aidera à descendre doucement. Toi, prends tes aises, tu n'as pas de poids pour moi.

Elle s'exécuta, ayant renoncé à comprendre ; incapable de résister, elle se laissait aller à l'ivresse de cet intense moment.

En quelques spirales sur les ailes du vent, Fleur et Nué se retrouvèrent bientôt tout près d'une dune dont la mélopée mélancolique égrenait en noria : « la pluie… la pluie… »

Nué stoppa net au-dessus et lui demanda :

- Pourquoi ta chanson est-elle si triste ?

- Chacun a ses misères comme le chameau a sa bosse, répondit la dune. J'aimerais bien avant de disparaître connaître une seule fois le paradis. Ici tout paraît serein, pourtant de furtives bêtes sanguinaires troublent sans cesse la paix et le silence. Je ne voudrais pas mourir, telle la tortue, avant de m'être gratté le dos !

- Veux-tu que je te gratte le dos ? intervint Fleur.

- Tu n'as rien compris ! s'exclama la dune. Et elle se mit à rire en hoquetant : l'âne reste un âne, même couvert du burnous d'un bachaga !

Oh ! Veuille m'excuser, reprit-elle aussitôt, ce sont là paroles de bédouins que je répète à tort et à travers. Il y a si peu de distractions ici… alors je les écoute, avidement, surtout lorsqu'ils racontent qu'une averse illuminerait mon mamelon d'une parure d'herbes et de fleurs. Un paradis !

Nué semblait pensif ; il les avait vues, lui, ces dunes fleuries, il savait bien qu'un jour ou l'autre il ruissellerait en mille gouttes, ici ou là.
Il s'était senti si inutile jusqu'à présent, alors, pourquoi pas ?

- Je pourrais te couvrir de pluie, proposa-t-il gentiment.

- Tu le ferais pour moi ? Mais tu en mourrais !

- Oui, mais toi, tu fleuriras.

- Un instant ! coupa Fleur. Et moi ? Que vais-je devenir ? Comment regagner ma place ?

- N'aies crainte, souffla Nué, toi, tu joueras avec le soleil et la lune, les étoiles te tresseront un collier scintillant, les vents de toutes les tempêtes nicheront dans ta chevelure, tu seras sable et terre fertile, aile des naufragés, joie de l'univers. Dune et moi chanterons dans ta voix.

Toi, tu deviendras Printemps !

Et il se laissa tomber dans une nuée de paillettes aux couleurs d'arc-en-ciel.


La dune fleurie

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“ Dune '', texte d'Annick Réjany
Photo de la Dune de Merzouga — Maroc, de Carine www.carine-gericot.com
Montage photo du titre et de “ la dune fleurie '' Jean-Luc LANEZ