Les histoires de Grand Petit Père

Sourimania


Texte et illustrations de
 Sylvie KINDER
Première Partie
à la Ville...


Depuis quelques jours Souris, Souriceau et Souricette débordaient d’activité. En effet le mois de décembre était bien avancé et il restait encore tant de choses à faire avant le soir de Noël. Souris réparait les cordons électriques que Souriceau un jour d’ennui avait machouillés avec morosité, Souricette astiquait le logis et frottait une à une toutes les boules du sapin de Noël afin que le soir venu tout soit magnifique pour accueillir le Père Noël. Souriceau s’appliquait à peindre de lumineuses étoiles sur une belle feuille immaculée de papier aquarelle. Au logis du clan Souris régnait la paix et l’harmonie… enfin presque…

Car depuis peu un drôle de voisin venait d’emménager dans l’appartement d’à côté.

Souriceau avait senti les poils de sa nuque se redresser quand il avait croisé son regard dans la cage d’escalier. Souricette avait été obligée de lui faire une bonne tisane de fleurs d’oranger pour l’aider à trouver le sommeil cette nuit là.

Depuis plus personne ne l’avait aperçu, pourtant il était bien là car le soir venu on entendait de drôles de bruits à travers la cloison, des meubles bousculés, des galopades endiablées, parfois de petits cris effrayés, bref Souris songeait fortement à déménager, il lui semblait qu’un danger planait sur le clan souris.

Les choses en étaient là quand Souriceau dégusta le délicieux chocolat trouvé derrière la dernière porte de son calendrier de l’Avent. Ce soir le Père Noël viendrait, ce n’était plus qu’une question d’heure.

La nuit était déjà tombée sur la ville, les flocons de neige dansaient dans le ciel, un épais manteau blanc recouvrait peu à peu les toits des immeubles. Souris, Souriceau et Souricette penchés à la fenêtre regardaient émerveillés les rares passants pressés qui semblaient courir au milieu de plumes blanches . Plus qu’une heure et ce serait une silhouette vêtue d’un manteau rouge et de bottes fourrées qui apparaîtrait au coin de la rue.

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« Crouiiic » le bruit d’une fenêtre ouverte attira leur attention, c’était leur nouveau voisin qui lui aussi semblait attendre le Père Noël. Ceci rassura fortement Souris . Il se dit « on ne peut pas être vraiment méchant quand on attend le Père Noël ».

Mais Souris était hélas bien loin de la vérité, dans l’appartement voisin la fièvre venait de s’emparer de Grandminet, tel était le nom de cet effroyable prédateur. Une aubaine extraordinaire se présentait à Grandminet et celui ci se dévissait la tête à la fenêtre pour voir si le crémier du coin avait encore porte ouverte. Gagné ! il se précipita sur son porte monnaie, le temps d’enfiler une petite laine (même les chats sanguinaires ont froid quand il neige) et déjà il courait faire provision d’une quantité incroyable de gruyère. Le crémier n’en crut pas ses yeux, c’était bien la première fois que Monsieur Chat venait faire ses courses chez lui, d’habitude c’était plutôt la porte de Mr Boudin, le boucher, que poussait cet étrange client.

Grandminet était à présent de retour chez lui, il s’affairait à préparer de petits paquets de fromage tout en surveillant du coin de la prunelle son écran d’ordinateur. La nouvelle se confirmait… La SNCF, société nationale des cervidés français, s'était une fois de plus mise en grève sans préavis et le Père Noël était bloqué en pays belge où ses rennes épuisés d’une longue course devaient reprendre un peu de forces. Retard prévu pour son passage d’une journée. Cela ne pouvait mieux tomber, Grandminet avait tout de suite compris ce qui lui restait à faire, déjà l’eau lui montait à la bouche.

Dans le clan Souris, on vivait à l’ancienne, ni ordinateur, ni téléviseur bruyant qui venait déverser son flot de paroles bavardes, on préparait cette belle soirée en chantonnant des chansons de Noël, même l’oncle Roger était venu se joindre à eux et il en connaissait un morceau en matière de musique, c’est lui qui animait depuis toujours la chorale des souris mélomanes.

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La grosse horloge sonnait gravement vingt-deux heures quand le coup de sonnette tant attendu fit battre le cœur de Souriceau un peu plus vite. Souricette, un sourire lumineux sur le visage, alla saluer le visiteur et s’effaça pour le laisser entrer. Et l’ignoble Grandminet ,dans son habit de Père Noël, pénétra dans le logis du clan Souris. On le fit asseoir sur le beau canapé neuf, on lui présenta les bonnes choses à grignoter que Souricette avait amoureusement préparées tout au long du mois de décembre. Depuis plus d’une heure Grandminet regardait avec curiosité les souris s’agiter gentiment autour de lui. Avant la distribution de cadeaux l’oncle Roger rassembla sous sa baguette les trois choristes qui entamèrent d’une voix émue « Douce nuit, Sainte nuit ». Grandminet en les voyant alignées ainsi devant lui songea à l’extraordinaire réveillon qu’il allait faire sous peu, souris dodues à point, un vrai délice pour chat.

C'est alors qu’il se passa quelque chose d’incroyable, de mémoire d’homme, de chat ou de souris, rien de semblable n’était jamais arrivé. Les souris entamaient la deuxième strophe du beau chant de Noël quand Grandminet sentit une étrange chaleur se répandre dans son corps de croqueur de rongeurs. Tout en lui devint si chaud, si chaud que l’armure de fer qui entourait son cœur impitoyable se mit à fondre peu à peu, la chaleur gagna sa gorge, monta jusqu’à ses yeux qui n’eurent d’autre choix que de se mettre à pleurer sans quoi je crois bien qu’ils auraient fondu aussi. Grandminet pleurait donc à chaudes larmes, et de grosses gouttes venaient mouiller le beau canapé bleu du clan Souris. Les souris émues s’approchèrent de ce drôle de Père Noël qui pleurait par une si belle soirée.

Alors Grandminet retira lentement son masque, ses habits rouges et tout humble dans sa peau de chat raconta en reniflant le plan machiavélique qu’il avait imaginé pour croquer ses gentils voisins. Il ne raconta pas que ça, en fait il n’arrivait plus à s’arrêter, et ses paroles bouleversaient Oncle Roger, Souricette, Souriceau et Souris. Quand enfin il s’arrêta, il se fit d’abord un grand silence, l’horloge sonna minuit et Oncle Roger entonna « il est né le divin enfant » et tous ensemble d’une seule voix qui remplit la pièce, se faufila par la fenêtre et monta jusqu’au ciel, chantèrent « Jouez haut bois résonnez musettes, il est né le divin enfant, chantons tous son avènement ».

Le miracle de Noël avait eu lieu cette année dans l’humble appartement du Clan Souris , une merveilleuse amitié venait de naître que personne jamais n’aurait pu imaginer.



Les confidences

Toute la semaine suivante personne ne vit Grandminet, les nuits étaient calmes mais dans la journée un filet de musique douce laissait supposer que Grandminet était tout de même chez lui. Souricette suggéra d’inviter leur nouvel ami pour le réveillon de Nouvel An.

Passer la porte d’une nouvelle année n’était pas une chose aussi simple qu’on pouvait le croire, ceux qui était seuls et tristes dans leur coin étaient ce soir là encore plus seuls et plus tristes et les autres semblaient souvent pris d’un vent de folie qui leur faisait porter des petits chapeaux rigolos, souffler dans des drôles de tubes pour viser le nez de leur voisine avec des boules de papier multicolore.

Dans le clan Souris les choses se passaient différemment, bien sûr la table était garnie avec de belles branches de houx sombre dont les baies rouges allumaient des reflets joyeux sur la jolie nappe blanche, les invités suivaient les yeux brillants la danse des petites bulles dans les verres de champagne et peu à peu les conversations s’animaient.

On parlait de l’avenir mais aussi du passé, les plus jeunes posaient des questions aux plus vieux, toujours contents de raconter comment c’était de leur temps. La grande horloge un peu endormie répétait inlassablement tic toc tic toc tic toc, de temps en temps elle sursautait, et semblait s’effrayer toute seule de sa voix grave qui sonnait les heures Dong Dong Dong. Puis quelques instants avant minuit elle se réveillait vraiment, étonnée d’abord d’attirer tous les regards vers son cadran, puis elle se redressait flattée de son rôle important et à minuit enfin on avait peine à l’arrêter de sonner tant elle semblait fière d’annoncer la nouvelle année.

Après discussion il avait été décidé que Souriceau irait glisser un billet sous la porte de Grandminet pour le convier à la fête. Roulé en boule dans son vieux fauteuil GrandMinet avait vu la feuille blanche apparaître lentement sous sa porte. Il était resté immobile les yeux fixés sur le carré de papier et se demandait quel nouvel évènement allait encore bouleverser sa vie de chat solitaire.

Toute la semaine il avait passé de la tristesse à la joie, riant parfois tout seul ou poussant de gros soupirs découragés. Il avait entrevu ce qu’était le bonheur de l’amitié et craignait fort que cela n’ait été que le cadeau d’une nuit exceptionnelle. Le petit bout de papier qu’il se décida à ramasser fit battre son cœur de chat plus vite. Non ce n’était pas un rêve merveilleux c’était écrit noir sur blanc : « Cher Grandminet, vos voisins et amis se font une joie de vous accueillir ce soir vers vingt heures pour fêter Nouvel An ensemble ».

Vingt heures !!!! mais il était déjà 19h30, il était donc resté plus de deux heures immobile à regarder le papier sous la porte . Pas question de traîner à présent, comme un tourbillon roux Grand minet courut à travers son logis, attrapant d’une main sa fourrure du dimanche, sa brosse de l’autre et lorsque dans la salle de bains il prit son peigne pour lisser ses moustaches c’est un matou heureux qui lui souriait dans le miroir.

La soirée se passa comme prévu dans la bonne humeur, les rires saluaient les petites histoires de Souriceau, les verres tintaient clairement au moment de trinquer et parfois de petits moments de silence un peu ému laissaient à chacun le temps de mesurer son bonheur d’être là.

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Puis l’Oncle Roger qui avait été invité lui aussi parla du bon vieux temps comme toujours quand il avait bu un petit verre de trop. On alla chercher des photos et oh surprise on découvrit que plus d’une fois les destins de la famille Chat et celle du Clan Souris s’était croisés. Ainsi Grandminet se désolait d’avoir perdu une aïeule dans le naufrage du Titanic, où elle accompagnait sa maîtresse Lady Whiskass dans son voyage vers l’Amérique, tandis que la famille Souris, elle, avait bien failli périr au complet dans les cales du même bateau.

Quand Grandminet un peu honteux confessa la vie de patachon qu’avait mené son arrière arrière grand père Fritz dit « Fritz the cat » aux Etats-Unis et sa triste fin où il en fut réduit à faire les poubelles pour survivre dans les rues sombres de la grande ville, Souris le consola en lui racontant comment des membres de sa famille aux habitudes d’hygiène déplorables avait rendu malade toute la famille de ce brave Monsieur Camus.Cliquez pour agrandir l'image...

Quand le jour se leva dans la nouvelle année ils en étaient à conclure que dans toutes les familles qu’elles soient de chats de souris ou d’hommes il y avait des drôles de zèbres et que dans le fond ce n’était pas si mal parce qu’après on avait des tas de choses à se raconter.

L’année avait commencé dans la gaieté et chaque jour qui passait colorait la vie des nouveaux amis. Il y avait les heures bleues où l’on rêvassait à la fenêtre en faisant des projets, les roses orangées quand le soleil couchant se faisait tendre et complice , les vertes quand le temps se prêtaient aux promenades dans les parcs et les jardins de la ville mais surtout il y avait les heures jaunes, plus lumineuses que tous les réverbères de la ville réunis. Ces heures là avaient bousculé l’existence de Grandminet. La joie de vivre de Souriceau était communicative, une idée à la minute mais aussi une bêtise à l’heure. Impossible de rester un matou songeur au fond d’un vieux fauteuil à se faire les griffes négligemment en attendant les beaux jours.

Au début cette petite bête grise remuante et couinante avait un peu agacé les nerfs de Grandminet mais son caractère grincheux n’avait pu résister longtemps à cette gaieté légère. Ainsi devenait-il lui aussi plus léger de jour en jour même qu’une fois, lorsque Souriceau voulut jouer à « Chat perché », il se retrouva à faire le clown en équilibre sur la rampe d’escalier juste au moment où Madame Pointue, la concierge, montait le courrier à Monsieur Pansu le locataire du 4ème.

Madame Pointue, n’avait de pointu que sa langue, pour le reste, quand elle apparaissait au bout du couloir, elle était précédée de sa forte poitrine sur laquelle elle appuyait ses mains puissantes en fronçant les sourcils si quelque chose lui déplaisait dans l’immeuble. Et quand elle disparaissait, avalée par la cage d’escalier, la dernière image qu’elle laissait était celle du nœud bleu de son tablier qui roulait comme une fragile embarcation sur la vague impressionnante de son postérieur.

Et Madame Pointue n’aimait pas beaucoup ce qui se passait dans son immeuble. Son œil exercé avait très vite remarqué que des choses avaient changé au 3ème. Déjà qu’elle n’avait pas été très contente en voyant emménager ces locataires si différents, à présent elle en ressentait une véritable contrariété. Toute occasion était bonne pour entamer une conversation à mi voix avec les autres habitants des étages.

Et pensez donc voilà que les souris se mettent à fréquenter les chats! Et où avait-on vu cela ! Et puis vous avez vus leurs yeux , ils n’ont pas une expression normale, et puis toujours entrain de rire bêtement , on se demande à quoi ça tient. Moi je vous le dis, ça finira mal tout cela !

La seule catastrophe qui arriva fut un coup de griffe malencontreux sur la cuisse de Souriceau un jour où la partie « cours après moi je t’attrape » fut plus endiablée que jamais.

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Grandminet encore peu habitué aux jeux de son compagnon avait oublié de rentrer ses griffes à temps et abîmé la fourrure fraîchement lavée de Souriceau. Cela fit un peu de bruit quand Souriceau piailla ses remontrances et que Grandminet soupira bruyamment son regret.

Madame Pointue tendit son nez depuis sa loge vers le 3ème étage. Mais rien ne vint vraiment entamer la belle humeur de nos amis.



L’Incident

Le véritable incident, celui qui alla bouleverser la vie des quatre compagnons, se produisit quelques mois plus tard. Ce matin là, comme tous les jeudis, Souris et Souricette s’étaient préparés pour aller au marché, le crémier leur réservait les croûtes de gruyère et Monsieur Boudin préparait des talons de jambon à l’attention de Grandminet.

Souricette allait fermer la porte quand elle vit passer derrière elle comme des fusées, à califourchon sur la rampe d’escalier une grosse boule rousse suivie d’une petite boule grise. Souris s’exclama : « Mais qu’est ce qu’ils ne vont pas encore inventer ! » L’instant d’après les deux acrobates remontaient les marches, les moustaches ébouriffées par la vitesse. Il y avait tant de plaisir dans leurs yeux que Souricette fut tentée d’essayer, Souris hocha la tête, c’est sûr cela serait assurément plus commode que de descendre les trois étages à pieds.

« Mais oui, assura Grand Minet, d’ailleurs rien de plus facile ! » et il prit un élan, bondit sur la rampe et hop se lança dans la descente suivi par Souriceau, Souricette et Souris. La rampe avait pris une belle couleur luisante et se déroulait lisse à souhait entre les pattes des quatre amis. Au deuxième étage ils avaient déjà pris de la vitesse, ils en gagnèrent encore dans le virage du premier et arrivés au rez de chaussée ils avaient atteint l’allure d’une Ferrari lancée sur circuit.

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Madame Pointue ce matin là avait décidé de nettoyer le joyau de l’escalier, la magnifique boule de cuivre aussi nécessaire à tout escalier qui se respecte que le rond sous un point d’interrogation. D’ailleurs cette boule à force d’être frottée était devenue avec le temps aussi brillante qu’une boule de cristal et Madame Pointue eut la surprise d’y lire son avenir immédiat. « un grand danger vient vers vous, poussez vouuuuuuuus ! »

Le lourd popotin de Madame Pointue avait mesuré le péril beaucoup moins vite que ses yeux si bien qu’elle resta plantée là servant de piste d’atterrissage.

Bilan du crash un œil poché pour Madame Pointue, une réunion d’urgence des habitants de l’immeuble menée par Monsieur Pansu et un avis d’expulsion pour ces fâcheux locataires qui ne respectaient pas le règlement .

Grandminet, Souricette , Souris, Souriceau allaient donc devoir se chercher un nouveau logement dès la fin de l’hiver. A l’annonce de cette nouvelle Grandminet se tenait penaud dans le salon douillet du clan Souris, Souricette le regarda un pétillement de gaieté dans les yeux et lui dit « c’était quand même drôlement plus rapide que d’être descendu à pieds les trois étages ! »



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Sourismania - © Sylvie KINDER, janvier 2006 ;
Les Histoires de Grand-Petit-Père - © JehandesFleurs 2005.